Génération Erasmus
Mon parcoursest celui d’un étudiant en droit passé par les universités anglaises avant d’exercer successivement à Paris les professions d’avocats d’affaires et de journaliste juridique et financier. J’ai ainsi frayé 15 ans dans un environnement à la fois très parisien et très cosmopolite, très « franglais ». Je suis en outre marié à une femme née outre-Atlantique, ce qui fait de moi le père de deux petits franco-américains. A ce double titre, j’ai donc pu vivre et observer le phénomène d’américanisation accéléré qu’ont connu les gens de ma génération et partant, une bonne partie de la société française.
Un mal profond
Le phénomène actuel d’anglicisation du français est, à mon sens, indissociable du processus de formation de nos élites. Comme moi, nombre d’entre elles ont effectué tout ou partie de leur cursus à l’étranger. Comme moi, elles y ont assidûment pratiqué l’anglais et continuent de le faire dans leur cadre de leur vie professionnelle. Prenez le cas du droit et de la finance, deux domaines où la domination américaine est devenue prépondérante. De nos jours, un avocat d’affaires français dira plus volontiers « implementer » (de l’anglais « implement ») que « mettre en œuvre » ou « appliquer », ou bien « draft » plutôt que « brouillon » ou « document de travail ». Songez encore qu’investisseurs et banquiers auront du mal à comprendre un interlocuteur utilisant une expression aussi surannée que « transférer un courriel » en lieu et place du si naturel : « forwarder un mail ». Et pourtant, ni les uns ni les autres n’ont le sentiment de trahir leur langue. Ils ont simplement intégré que le français constituait une langue du passé, une langue figée et étroite, rigide ; en d’autres termes, une langue de dominés. Alors que l’usage de l’anglais marque au contraire leur appartenance à une élite mondialisée, moderne, une élite en mouvement (en marche ?) ; à la caste des dominants.
Un autre domaine où l’anglicisation sévit est celui de la communication. Ainsi les marques ne vendent plus des « bâtonnets », mais des « sticks » de café ou de crabe. Dites aussi stickers plutôt qu’autocollants, tellement vieille France. Et si la télévision française consacre encore des programmes à l’histoire de France en première partie de soirée – pardon, en « prime » – ce sera sur « CNews » et non sur « CNouvelles ». On pourrait ainsi multiplier les exemples à l’infini, tant l’emploi de l’anglais est aujourd’hui devenu la norme. Cette situation est d’autant plus préoccupante que s’agissant des médias, les enfants y sont hélas exposés de le plus jeune âge. Je constate enfin que dans de nombreux cas, il ne s’agit pas de combler une éventuelle lacune de notre vocabulaire. On veut tout simplement remplacer le français par de l’anglais, jugé plus moderne et plus direct, plus court. Un comble, pour un pays qui s’est doté d’une académie dont la fonction est précisément de « pérenniser » sa langue !
Mais c’est ce qui arrive lorsqu’une nation se laisse dominer à ce point par les Etats-Unis dans les domaines économiques et culturels. C’est ce qu’on récolte aussi, à laisser des programmes de l’Oncle Sam déferler sur les écrans pendant plus de 50 ans. Le constat est sans doute difficile à entendre, mais il me semble conforme à la réalité. Chacun de nous peut le constater dans sa vie de tous les jours. A titre personnel, je me suis longtemps montré fier de pouvoir glisser des mots anglais dans mon français. C’était une sorte de code bourgeois, une manière de marquer son appartenance au Nouveau Monde. Avant que je ne réalise, pour reprendre les mots d’Albert Camus, que ma seule et véritable patrie était la langue française ; qu’elle seule habitait mes rêves et pouvait me donner la chair de poule. Or les langues sont mortelles, comme les hommes. Et en tant que francophone, je n’ai nulle envie de disparaître de la surface du globe.
Face à un phénomène aussi général que diffus, reste la question du « comment s’y prendre ? ».
Tâchons d’abord de changer d’état d’esprit : ce n’est pas parce que les Américains nous dominent que nous sommes obligés de les imiter en tout. Pour bien les connaître, je ne pense pas d’ailleurs que c’est ce qu’ils attendent de nous. Le français n’est pas sale et son emploi nous ne rend pas vieillots, anti modernes, ou désuet. Il est noble et beau. Rien ne nous empêche de dire « bobards », « fausse nouvelle » ou « infox » plutôt que « fake news ». Afin que de pouvoir embrasser la modernité, la langue française a besoin de notre concours. Car au fond, l’emploi systématique de l’anglais témoigne d’une certaine rigidité d’esprit. L’Amérique nous lance un défi ? Eh bien, à l’exemple des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, relevons le gant avec panache !
Il est toutefois essentiel que les pouvoir publics en fassent davantage pour protéger la langue française. L’exemple doit venir d’en haut. Je déplore que les marques soient autorisées à placarder leur anglais dans toutes les villes de France, comme je trouve choquant que la carte d’identité française soit sous-titrée en langue anglaise. Il est également curieux, en ces temps de crise sanitaire, que l’Etat français lui-même parle de « tracing » plutôt que de traçage ou de « cluster » plutôt que de foyer épidémique. Bel exemple pour le monde francophone…
Je crois aussi qu’il nous faut d’urgence revoir le processus de formation des élites. Si la France a su si longtemps faire rayonner son langage et sa culture, c’est notamment grâce à la qualité de son enseignement. Au Moyen Âge, l’Université de Paris attirait des étudiants venus des quatre coins de l’Europe qui se regroupaient en « nations ». Nous en sommes bien loin aujourd’hui. Les jeunes français s’empressent de quitter la France dont à tort ou à raison, ils jugent les universités médiocres. Et lorsqu’ils restent en France c’est pour intégrer des écoles, ou plutôt des « business school » qui, comme leur nom l’indique, suivent scrupuleusement les standards anglo-saxons.
Cessons enfin de croire que c’est en ponctuant son français de « hello », de « bye » ou de « cool » qu’on apprendra la langue de Shakespeare. Les adeptes du franglish pourraient déchanter, qui finiront par ne savoir parler convenablement ni leur langue, ni celle des autres. Mes enfants franco-américains pourraient d’ailleurs vous l’expliquer. A la maison, la distinction a toujours été très nette entre des parents qui ne s’adressent à eux que dans leurs langues maternelles. Résultat, ils maîtrisent parfaitement français et anglais sans jamais les mélanger ou les confondre.
Pur produit de la génération Erasmus, j’ai aussi décidé d’apporter ma pierre à l’édifice. Non seulement en devenant l’auteur de romans historiques, mais au Moyen Âge en outre. C’est pour moi une manière de cultiver une certaine beauté du langage et renouer avec mes racines, de faire rêver le plus grand nombre avec des aventures campées à l’époque de Jeanne d’Arc, personnage si largement connue de par le monde. Lorsqu’ils rêvent d’aventures, la plupart de nos compatriotes imaginent de grands espaces américains. Avec ma saga des TROIS POUVOIRS, je veux prouver qu’il est encore possible de rêver à de grands espaces français, dans un monde héroïque, royal et chrétien. Impossible, me direz-vous ? Et de moi de vous rappeler, qu’ « impossible n’est pas français ».
Xavier Leloup, historien et avocat