Pour comprendre la situation actuelle du français en Belgique, il est utile de remonter aux années qui ont précédé la création du Royaume de Belgique en 1831.
Au moment de la Révolution française, les populations romanes de l’actuelle Belgique étaient essentiellement réparties entre trois entités politiques d’importance inégale :
– les Pays-Bas dits autrichiens ( avec la Flandre et la Hollande ) ;
– la principauté épiscopale de Liège ;
– la principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy.
En 1792, après la victoire militaire de Jemappes, les Pays-Bas autrichiens furent conquis par la France. Les trois entités citées plus haut furent incorporées à la République française à la suite du décret d’annexion du 1er octobre 1795 ( 9 vendémiaire de l’an IV ) de la Convention nationale.
Cet amalgame, qui est à l’origine de la future Belgique, fut séparé de la France après la défaite de Waterloo pour être rattaché à la Hollande par le Congrès de Vienne.
La révolution de 1830 détacha de la Hollande les provinces du sud qui conquirent leur indépendance pour former un nouvel Etat.
Cet Etat était bilingue en ce sens qu’il juxtaposait deux groupes ethniques : les Flamands au nord, les Wallons au sud de la vieille frontière linguistique qui traverse le pays d’est en ouest depuis que s’était fixée, dès le haut Moyen Age, une ligne de démarcation entre populations germaniques et romanes.
Sous le régime hollandais ( 1815-1830 ), le roi Guillaume 1er décida d’enlever à la langue française le statut de langue officielle qu’elle occupait depuis le régime français ( 1795-1915 ). Un arrêté de 1823 faisait du néerlandais la langue nationale. Cette politique de néerlandisation se heurta à une résistance tant dans les provinces flamandes ( où les couches sociales élevées et la bourgeoisie des petites villes s’exprimaient en français ) que dans les provinces wallonnes.
Dès le 16 novembre 1830, le gouvernement provisoire du nouveau royaume indépendant de Belgique proclama le français seule langue officielle du pays. Mais très rapidement, dans les milieux intellectuels flamands, une action fut menée pour réaliser l’égalité juridique des deux langues nationales et au XXème siècle ( à partir de 1932 ), la Flandre adopta l’unilinguisme officiel et élimina le français des actes de la vie publique, y compris l’enseignement.
A partir de 1870 s’engagea un processus qui transforma progressivement la Belgique en un Etat fédéral avec trois langues officielles : le néerlandais, le français et l’allemand. Depuis 1994, l’article premier de la Loi fondamentale stipule : « La Belgique est un Etat fédéral qui se compose des Communautés et des Régions. »
Il y a trois Régions : la Région flamande au nord, la Région wallonne au sud et la Région de Bruxelles-Capitale. Les Régions disposent essentiellement de compétences économiques.
Il y a aussi trois Communautés qui ont plutôt des compétences liées à la langue ( culture, enseignement, services sociaux…) :
– La Communauté flamande est composée de la Région flamande et des institutions
néerlandophones de la Région de Bruxelles-Capitale ;
– La Communauté française ( actuellement appelée Fédération Wallonie-Bruxelles )
est composée de la Région wallonne ( sans la région linguistiquement
germanophone ) et des institutions francophones de Bruxelles-Capitale ;
– La Communauté germanophone qui se situe à l’est du pays près de la frontière
allemande et qui ne compte qu’environ 75.000 habitants.
Cette nouvelle structure est très complexe et je l’ai donc simplifiée au maximum.
Au niveau de la langue française, on peut dire que celle-ci est la deuxième langue officielle de la Belgique, la seule langue officielle de la Wallonie et la langue principale de la Région de Bruxelles-Capitale ( l’autre langue officielle étant le néerlandais ) où les habitants sont francophones à plus de 80 %. Il reste quelques
petites minorités francophones en Flandre, mais le français perd peu à peu sa place de deuxième langue apprise dans les écoles au profit de l’anglais. Dans la Communauté germanophone, on peut dire que le français reste une langue seconde pour la majorité de ses habitants.
Parlons chiffres. La Belgique approche les onze millions d’habitants : 6,25 millions en Région flamande, 3,5 millions en Région wallonne et 1,09 million dans la Région de Bruxelles-Capitale. Nous pouvons donc estimer le nombre de francophones belges aux alentours de 4.300.000 personnes.
Les difficultés rencontrées par notre langue dans la Communauté française de Belgique sont comparables à celles qui existent en France et en Suisse romande. Nous nous heurtons néanmoins à un problème spécifique que je vais illustrer par deux exemples. Chaque Français parlera de son équipe nationale de football en disant « les Bleus ».. Pour un Belge, ce sont « les Diables rouges ». Mais les Flamands et les germanophones les désignent dans leur langue. On a mis tout le monde d’accord en les appelant les « red devils ». Il en est de même pour le nom du pays qui devient peu à peu le « Belgium ». Même pour les francophones. Une victoire de plus pour le phénomène bien connu de l’anglicisation.
Pour terminer nous aborderons deux caractéristiques bien connues du français de Belgique : l’accent ( ou plutôt les accents ) et les belgicismes.
L’accent belge généralement imité par les humoristes français n’existe pas ; il correspond à l’accent bruxellois francophone. Ses expressions et tournures viennent de l’histoire même de Bruxelles qui, avant le XIXème siècle, était d’expression néerlandaise. Il en reste l’utilisation de diminutif flamand ke ( Marieke pour Marie, leManneken-Pis ( littéralement « le petit homme qui pisse » ) ou la traduction littérale d’expressions flamandes ( le célèbre une fois, traduction du mot néerlandais eens
( kom eens hier ! – viens un peu ici ! ).
En Wallonie existent des accents différents selon les régions et le substrat dialectal, mais on peut déceler des traits communs qui permettent de parler d’un accent wallon ( et non belge ! ).
Un des traits marquants est l’allongement vocalique : pigeon ( avec un i long ), détour ( avec un é long ), déposer ( avec un o long ), heureuse ( avec le deuxième eu long ).
On constate également les trois cas suivants :
– assourdissement des consonnes sonores en position finale : mariage = mariâche,
malade = malâte ;
– altération du [t] et du [d] dans la prononciation des graphies t+i+voyelle et
d+i+voyelle, le t et le d devenant plus ou moins palatisés et chuitants : la pitié du
bon Dieu s’entend à peu près comme la pîtché du bon Djeû ;
– insertion d’une semi-consonne de liaison entre voyelles : théâtre = téyâte, Noël =
Nowèl.
Précisons encore que les trois semi-consonnes du français : [y], [w] et [w’’] se ramènent à deux dans le français belge ; le [w’’] se confond avec le [w] ; on entend dans ‘nuit’ le même son que dans ‘oui’.
On peut , d’une manière générale, caractériser l’accent wallon par un relâchement de l’articulation.
Un belgicisme est un fait de langue propre au français de Belgique, commun à toutes les régions du pays. La fréquence d’utilisation, comme l’intensité de l’accent, varie en fonction de la région et du milieu culturel.
Voici quelques exemples de belgicismes les plus connus et les plus répandus :
septante et nonante ( soixante-dix et quatre-vingt-dix ), déjeuner ( le repas du matin ),
dîner ( le repas de midi ), souper ( le repas du soir ), avoir difficile ( avoir des difficultés ), un bourgmestre ( un maire ), un échevin ( un adjoint au maire ), une drache ( une porte pluie ), aller à la toilette ( aller aux toilettes ), un chicon ( une endive ), un filet américain ( un steak tartare ), une tirette ( une fermeture éclair ), s’il vous plaît pour demander de répéter ( plaît-il ? pardon ? ) ou en tendant un objet ( voici, je vous en prie ), un pain français ( une baguette ), une gosette ( un chausson aux fruits ).
Marcel Piette