Par Philippe de Saint Robert
Au lendemain de la constitution de la nouvelle Commission européenne, Emmanuel Macron nous annonçait, triomphant, le retour de la langue française. Que vîmes-nous paraître au lendemain du retrait de la Grande-Bretagne ? Un président de l’Union européenne, Charles Michel, certes de langue française mais ne s’exprimant qu’en (mauvais) anglais de crainte de contrarier ses compatriotes flamingants. Ensuite une banquière, citoyenne française, mais qui ne communiquait déjà qu’en anglais lorsqu’elle était ministre des Finances à Bercy, pourquoi changer ? Enfin une présidente allemande qui parle un français parfait, mais, on ne sait pourquoi, choisit de ne s’exprimer qu’en anglais. Triple claque pour le théoricien du « en même temps » qu’il ne soupçonnait pas d’être si pervers. On savait pourtant déjà le peu d’effets de ses théories européennes, dont Berlin ne veut à aucun prix.
À l’entrée de Londres dans le Marché commun d’alors, le français était la langue de travail du Machin. Georges Pompidou déclarait au Soir de Bruxelles, le 19 mai 1971 : « Je dis que si demain l’Angleterre étant entrée dans le Marché commun, il arrivait que le français ne reste pas ce qu’il est actuellement, la première langue de travail de l’Europe, alors l’Europe ne serait jamais tout à fait européenne. Car l’anglais n’est plus la langue de la seule Angleterre, il est avant tout, pour le monde entier, la langue de l’Amérique. ». Il arriva aussi à François Mitterrand de rappeler à Jacques Delors son devoir de respecter l’usage du français à Bruxelles. Words, words, words…
La langue anglaise n’est plus à Bruxelles que la langue de Malte et de l’Eire, encore que pour ces deux pays elle est une langue d’usage et non une langue nationale. Lui maintenir un rôle usurpé est donc un choix idéologique qui signifie que l’Union s’entête à s’enfermer dans ses choix économiques et politiques qui l’ont conduite au fourvoiement où elle se trouve. Ce sont malheureusement les choix personnels du président de la République et de son idéologie mondialiste, dont nous souffrons.
Une nouvelle propagande, bien relayée, voudrait nous faire croire que l’anglais ne serait qu’un français dénaturé, alors pourquoi se plaindre ? Gramsci disait que « la langue devait être traitée comme une conception du monde. » C’est bien pourquoi la question est politique et échappe à nos hommes politiques qui font de l’économie avec la langue au risque de sombrer avec elle.
Joint à cela que la pandémie que nous traversons a démultiplié les causes de pollution de la langue française par un jargon importé alors qu’il suffisait de s’exprimer en français pour autant qu’on s’en donne la peine : qu’est-ce qui nous empêchait de dire « foyer » au lieu de cluster et « grand contaminateur » au lieu de superspreader ? Les exemples ne manquent pas. Dans leur récent ouvrage consacré aux mots immigrés, Eric Orsenna et Bernard Cerquiglini insistent sur le fait que nombre de mots sont entrés dans la langue française en provenance de langues étrangères. Ils ont raison, mais l’ « immigration » actuelle des mots anglais dans la langue générale et le vocabulaire spécialisé ne s’assimile aucunement et vient perturber notre syntaxe et notre système phonétique. L’Académie française vient de se réveiller, mais ce n’est jamais que le dernier salon où l’on cause.
Le français garde son rang de grande langue de communication internationale. Ainsi est-il avec l’anglais la seule langue de travail du Secrétariat de l’ONU. Excepté que son secrétaire général, Antonio Guterres, ne s’exprime plus qu’en anglais sauf lorsqu’il va en Afrique francophone, ce qui revient à faire du paternalisme. Nous sommes loin du respect qu’avait de la langue française, son prédécesseur, Boutros Boutros Ghali, qui d’ailleurs déplaisait tant aux Américains. Au Vatican, Benoît XVI avait rétabli l’usage diplomatique prioritaire de la langue française. Le pape François ne sait pas un mot de français et la langue anglaise a pris le pouvoir, Radio Vatican est devenu Vatican News. Malheureusement les gouvernements français successifs ne font plus rien pour défendre les positions de la langue française dans le monde, à croire qu’ils ignorent même qu’elles existaient. Ils s’emploient à généraliser impunément l’emploi du globish. On savait déjà que la notion de souveraineté leur échappait.
P.S.R.